Les nouvelles prennent une dimension particulière quand qu’elles viennent se greffer sur notre propre actualité. Mardi, l’annonce de la mort du journaliste pakistanais Syed Saleem Shahzad est tombée alors que nous participions à Londres à une conférence sur l’impunité.
Parrainée par l’Unesco et organisée par la City University et l’université de Sheffield, cette rencontre avait pour objet de renforcer la lutte contre l’impunité dont bénéficient, partout dans le monde, les exécutants et les commanditaires des assassinats de journalistes.
Le Pakistan est un des pays les plus dangereux pour la presse. Il apparaît à la dixième place de l’index de l’impunité 2011 publié mercredi par le Comité de protection des journalistes (CPJ, New York) : 14 meurtres de journalistes, commis entre 2001 et 2010, restent non élucidés. C’est aussi au Pakistan que fut enlevé et tué Daniel Pearl, le correspondant du Wall Street Journal, en 2002. Selon le CPJ, onze journalistes et travailleurs des médias ont été tués en 2010 au Pakistan et cinq déjà cette année.
Journaliste respecté, correspondant de l’Asia Times Online, Mr. Shahzad enquêtait notamment sur les complicités d’institutions de l’Etat, dont les services secrets (ISI, Inter Services Intelligence), dans la propagation de la violence islamique. Son dernier article dénonçait l’infiltration d’al-Qaida au sein de la marine pakistanaise et il pourrait bien être la cause directe de son assassinat.
Le journaliste était depuis longtemps déjà dans la ligne de mire de « l’Etat profond », c’est-à-dire de ces réseaux interlopes d’islamistes, de barbouzes et de militaires, qui contrôlent en grande partie le Pakistan, ceux-là mêmes qui sont soupçonnés par les Etats-Unis d’avoir donné refuge à Ousama Ben Laden
En octobre dernier, après avoir été interrogé par l’ISI, il avait envoyé un courriel à Ali Dayan Hasan, spécialiste du Pakistan à Human Rights Watch. « Cher Hasan, écrivait-il, je t’envoie ce courriel par précaution, au cas au où quelque chose nous arriverait à moi ou à ma famille ».
Syed Saleem Shazad avait « disparu » dimanche soir alors qu’il se rendait à une émission de télévision pour y discuter de sa dernière enquête. Immédiatement, sa famille et les ONG des droits humains s’étaient mobilisées. Tout semblait indiquer que le journaliste avait été arrêté par l’ISI et qu’il serait libéré lundi matin.
Mais lundi, c’est son cadavre qui a été retrouvé, le long d’un canal à 150 kilomètres au sud d’Islamabad. Il portait des signes de violence. L’ISI a nié toute responsabilité.
L’impunité est l’un des fléaux des régimes autoritaires. Elle touche tous les citoyens, mais lorsqu’elle s’applique aux assassinats de journalistes, elle propage une censure qui prive la population d’informations essentielles.
Selon l’index de l’impunité établi par le CPJ, les pays les plus touchés par ce phénomène sont dans l’ordre descendant de gravité, l’Irak, la Somalie, les Philippines, le Sri Lanka, la Colombie, l’Afghanistan, le Népal, le Mexique, la Russie, le Pakistan, la Bengladesh, le Brésil et l’Inde.
Mercredi, toutefois, une bonne nouvelle est tombée au beau milieu de la conférence sur l’impunité : l’annonce par les autorités russes de l’arrestation, en Tchétchénie, de Rustam Makhmoudov, l’assassin présumé de la célèbre journaliste Anna Politkovskaya, tuée en octobre 2006 à Moscou.
Lors de deux missions du CPJ en Russie, en septembre 2009 et 2010, nous avions rencontré de hauts responsables du gouvernement et discuté de 20 cas de meurtres non élucidés de journalistes depuis l’année 2000. Les enquêteurs avaient tout fait pour démontrer leur bonne volonté.
L’arrestation de Makhmoudov a été saluée par les associations de défense de la liberté de la presse, mais annonce-t-elle une nouvelle politique russe de lutte contre l’impunité ? Elle suit, en tout cas, de quelques semaines la condamnation de deux militants ultranationalistes, coupables de l’assassinat, en 2009, de l’avocat Stanislav Markelov et de la journaliste du quotidien Novaya Gazeta, Anastasiya Baburova.
Pour les associations de journalistes, cependant, le changement ne sera une réalité que lorsque les autorités arrêteront les commanditaires de ces crimes. Personne ne croit, en effet, que les meurtriers ont agi de leur propre initiative, particulièrement dans le cas d’Anna Politkovskaia, qui s’était créé de nombreux ennemis au Kremlin et en Tchétchénie.
Les nouvelles de l’assassinat de Saleem Shazhzad et de l’arrestation de Mahkmoudov se sont télescopées lors de la conférence de Londres. Elles ont évidemment renforcé la détermination des organisations non-gouvernementales et intergouvernementales présentes (ONU, Conseil de l’Europe, Commission européenne, OSCE, etc. ) de mieux protéger les journalistes.
Comment ? Notamment en amenant les Etats à poursuivre les tueurs et leurs donneurs d’ordres. Dans les pays où l’Etat de droit est défaillant, l’impunité des assassins est une « licence to kill again », une invitation à commettre les mêmes actes de violence contre les journalistes qui dérangent.
La lutte contre l’impunité est d’autant plus cruciale, notait l’un des participants, que des pouvoirs d’Etat, ou certaines de leurs factions, s’allient à des groupes terroristes ou à des bandes criminelles et transforment leurs pays en territoires sans loi qui exportent leur arbitraire et leur violence au-delà de leurs frontières.
L’assassinat d’un journaliste ne concerne pas que les journalistes. Il est très souvent l’indice d’une insécurité qui menace toute une société voire la communauté internationale tout entière.
Pourquoi les medias ne parlent-ils jamais de l’assassinat en 2004 du journaliste Paul Klebnikov? Il était américain, travaillait pour le magazine “Forbes”, et enquaitait sur les dessous de la mafia “russe”.
Vous avez raison, ce cas est très peu couvert, sauf dans la presse américaine. Lors de nos missions à Moscou, nous avons systématiquement soulevé ce dossier auprès des enquêteurs du bureau du procureur général, mais sans succès. Je vous suggère de consulter le rapport du CPJ, Anatomy of Injustice, disponible sur le site http://www.cpj.org
Merci de votre intérêt