Publier les photos de Ben Laden? Le dilemme de la presse américaine

Les débats suscités par l’élimination de Ben Laden sont infinis et, au-delà des rumeurs, des théories du complot et des controverses, ils posent le plus souvent des questions de fond, qui touchent non seulement à la stratégie anti-terroriste mais aussi à la justice et à l’éthique.

Aurait-on pu arrêter Ben Laden ? Un procès aurait-il été possible et souhaitable ? Ce matin, dans Le Soir, Eric David, professeur émérite de droit international à l’ULB, a défendu la « justice des tribunaux” et non celle des armes. « La justice ne se fait pas au bout du canon, mais au terme d’un procès mené selon les règles de l’Etat de droit », a-t-il déclaré, en soulignant « le fantastique impact médiatique, pédagogique et moral que le procès d’un homme tel que Ben Laden aurait pu avoir sur l’opinion publique ».

Même s’il y avait de multiples raisons (le risque d’une mise en scène, des questions de sécurité, etc.) de ne pas souhaiter un procès, les pays et les institutions démocratiques, dont la presse, sont tenus, en effet, à se référer à d’autres principes et à d’autres normes que ceux des régimes autoritaires ou des Etats où règne la loi de jungle.Des questions tout aussi difficiles surgissent également à propos des photos de Ben Laden. Faut-il les publier, au risque de choquer ou de provoquer des réactions brutales de la part de ses sympathisants ? La pression, en tout cas, est de plus en plus forte car dans de nombreux milieux, notamment dans les médias de la droite populiste américaine, on exploite les failles de la communication de la Maison Blanche, jusqu’à prétendre qu’Oussama Ben Laden n’aurait pas été tué lors de l’opération des forces spéciales américaines.

Avant même de disposer de ces clichés, la presse américaine discute de l’attitude à suivre. Le Poynter Institute, l’un des centres de réflexion déontologiques les plus renommés des Etats-Unis, a publié un guide pour les rédactions qui tente de préciser les critères qui justifieraient une publication de photos que l’on qualifie déjà de « gruesome »(macabres). Ben Laden aurait été touché en effet d’une balle au visage, au dessus des yeux.

L’une des justifications de publier, selon Kelly McBride, de la Faculté d’éthique du Poynter Institute, serait sa « valeur d’information », afin, notamment, de couper court aux “théories du complot qui commencent à germer ».

Même réaction de la part de David McCormick, responsable de l’éthique à NBC News, l’une des principales chaînes de télévision américaines : « Il faut d’abord les voir et décider si elles apportent réellement une information ». « Notre première responsabilité est de dire la vérité ».

Reste évidemment le caractère « macabre » des photos :  « en télé, on entre dans la salle à manger des gens », prévient D. McCormick.

Des choix difficiles que détaille Kelly Mc Bride : « faut-il publier à la « une », en couleur ou en noir et blanc, seulement sur Internet, et quelle taille devrait avoir la photo » ?

Pour Bob Steele, lui aussi du Poynter Institute, la décision doit s’inspirer de deux principes: la responsabilité des journalistes de fournir une information exacte, l’obligation des autorités de rendre des comptes sur leurs actions. « Quelle que soit l’opinion que l’on a sur cet événement, l’administration, la CIA et l’armée doivent s’expliquer sur ce qui s’est passé ». Il importe tout autant, poursuit Bob Steele, d’expliquer au public les raisons du choix que l’on adoptera. “Parfois, écrit-il en substance, une image est nécessaire pour donner une information exacte et signifiante, mais parfois aussi une image risque tellement de provoquer des dégâts qu’il faut se limiter à utiliser des mots“.

Dans l’hebdomadaire The New Yorker, Philip Gourevitch a choisi: “Don’t release the photos”, ne publiez pas les photos, écrit-il. Cette photo « trophée », prévient-il, risque de définir l’événement, de polariser, et d’empêcher de tourner la page. Et, de toutes façons, ajoute-t-il, cette publication n’empêchera pas les adeptes de la théorie du complot de continuer à croire que Ben Laden n’est pas mort et que les photos sont des montages.

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10 réponses à Publier les photos de Ben Laden? Le dilemme de la presse américaine

  1. Darquennes Denis dit :

    Je partage entièrement l’avis de Mr Eric David. A la barbarie, les Etats Unis ont répondu par la barbarie. Si nous voulons vraiment que les mentalités politiques et diplomatiques changent et évoluent vers l’adoption des Droits de l’Homme comme valeur universelle, il aurait fallu le prendre vivant et le traduire devant un tribunal. Contrairement à l’affirmation de Mr Bush Jr, le tuer n’est pas faire justice, mais au contraire entretient la violence. Un procès selon les règles de droit peut seul permettre de briser le cercle infernal de la violence.

    • Tribal Bubble dit :

      Ben Laden ne mérite pas de procès humain, comme tous les fous de Dieu car ça sert à rien puisque ses sympathisants penseront toujours que c’est Allah qui l’a guidé et que la justice des Hommes est minable à côté de la Justice d’Allah

  2. laurent dit :

    à Denis Darquenne:

    Bonjour,
    bien que je sois d’accord avec vous quant à votre affirmation que le fait de tuer Ben Laden sans aucune forme de procès en justice ne fera probablement qu’entretenir la violence, je m’intérroge sur les conséquences qu’aurait pu avoir un tel procès, qui même s’il s’était tenu sous la bannière d’une justice dite démocratique, n’aurait pu être qu’une forme de lynchage judiciaire. Quand les deux parties n’acceptent pas les fondements de la pensée de l’autre, ce qui est le cas en l’espèce, la justice ne pourra que se ranger derrière l’idéologie du ‘vainqueur’, en l’espèce les EU. Bien que j’abhorre les méthodes utilisées par le terrorisme islamique, je ne peux m’empècher de comprendre certaines de leurs motivations. Dans ce cas-ci, le tuer sans procès parrait avoir été “the lesser of two evils”. Sans compter que pendant le ou les années qui s’écouleront avant la conclusion d’un tel procès, le risque de voir exploser le nombre d’actes terroristes en vue d’obtenir la libération de Ben Laden serait énorme.
    Enfin, et c’est une boutade, grâce à lui on n’entend plus parler du Yemen (en a-t-on jamais entendu parler en fait?), de la contestation sociale en Afrique de l’Ouest (Burkina entre autres) ou encore de Fukushima (qui aurait dû rester un priorité pendant au moins 30.000 ans).
    Sur ce, Ben Laden n’a que très peu d’influence sur mes devoirs professionnels…

  3. rroland dit :

    Quel sens a la démocratie si pour répondre à la barbarie, elle utilise les armes des barbares?

  4. Dujardin dit :

    La question suivante étant : Peut-on appliquer la justice des Hommes à un monstre ? Cela aurait entraîné des coûts et de l’énergie incroyables pour l’isoler, le protéger, empêcher qu’il se fasse libérer par ses adeptes… Parfois, une solution radicale ne m’apparaît pas si injustifiée.

  5. Jose bastien dit :

    Sur le journal Foxnew du 26 decembre 2001 on pouvait lire l’article suivant :
    http://www.foxnews.com/story/0,2933,41576,00.html
    Ben Laden est donc mort deux fois…

  6. digrado anthony dit :

    Je vais faire très court. Imaginez Ben Laden vivant et entre les mains des USA. Même si c’est pour à terme le condamner à mort, imaginez le nombre d’attentat -organisé ou non- et de kidnapping que ceci aurait entraîné afin de le libérer. Certes, j’aurais apprécié que Ben Laden soit jugé par notre système “civilisé” plutôt que de nous être abaissé à leur niveau. Mais il n’y a rien à faire, on a affaire à des sauvages et le garder en vie aurait été très très risqué pour notre sécurité -d’autant plus que ceci n’aurait pas duré que quelques mois.

  7. Daniel Heyninck dit :

    Le procès? Bin Laden l’a fait lui-même: il s’est volontairement mis en guerre contre les Etats-Unis et le monde occidental – “les impies”. Fallait-il faire passer devant un tribunal les milliers de soldats allemands qui ont combattu pendant les deux guerres mondiales ? Si je suis bien le raisonnement des intellectuels de notre époque, il ne faut point tuer au cours d’une guerre : il faut uniquement faire des prisonniers pour les traîner devant un tribunal pour que chaque citoyen du monde comprenne que le Mal est puni par le Bien. Et qui décidera de ce qui est bien ou mal ? Les opinions s’affrontent chaque jour. Il suffit de le voir sur ce blog. Malheureusement, certains ne peuvent discuter que par la violence.
    Bin Laden a été exécuté sur ordre du Président des Etats-Unis d’Amérique, démocratiquement élu par ses concitoyens. L’ordre était de le ramener vivant s’il se rendait sans discussion. Il ne l’a pas fait. Il a donc rejoint les rangs de Mesrine, Carlos et autres terroristes célèbres. Rien que dans une caserne de pompiers de New-York, celle visitée cette semaine par Mr. Obama, 15 pompiers ont laissé leur vie pour sauver d’autres vies : ils laissent un total de 28 orphelins… Pitié pour bin Laden ?

  8. leo dit :

    bonjour a tous, j’aimerai dire que tout ça et plain des mensonges,d après la vidéo que il ont montre de l assaut,je pense que il y a un décalage d horaire en le Pakistan et l Amérique,plus les photo expose ne sans pas convaincante,la seul question que j ai, si a quoi bon tout ça? je suis contre le terrorisme et aussi contre les mensonges
    en laisse le temps faire sont travail ,,,

  9. Mélusine dit :

    Tout à fait d’accord avec l’article. Il semble que de nombreux journalistes choisissent l’option de: Il faut faire confiance à Ben Laden (Charlie Hebdo, La Une radio,…). Mais maintenant que nous avons un petit espoir que le chapître terreur islamique puisse se clore, nous avons enfin droit à la vérité et cessez de traiter ceux qui gardent des doutes (attitude d’honnêteté intellectuelle), d’illuminés ou autre. Pourquoi aucun livre n’est écrit du côté des autorités américaines pour enfin démolir les soupçons qui subsistent (Pentagone, corps à la mer,…). Les journalistes ont-ils peur ou perdu tout esprit critique. Les contacts de Bush et Ben Laden. Parce qu’Obama bénéficie d’une aura de sympathie, devons-nous nous aveugler? Le vérité n’a jamais nuit à la compréhension et l’avancée de la civilisation.

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