La vie offre parfois des télescopages stimulants. Quelques minutes après avoir terminé la rédaction de ma chronique du mardi, amèrement intitulée « cette Europe qui se ratatine », j’ai pu apprécier le rôle positif que peut jouer l’Union européenne dans la promotion des valeurs de liberté dont elle se réclame.
A l’invitation de Heidi Hautala, députée écologiste finlandaise et présidente de la sous-commission des droits de l’homme, j’ai participé hier après-midi au Parlement européen, en tant que conseiller du Comité de Protection des Journalistes (CPJ), à une audition consacrée à la sécurité de la presse en zones de conflit.
Avec la journaliste française Anne Nivat, grand reporter au magazine Le Point et Prix Albert Londres 2000 pour son livre Chienne de guerre, et le représentant européen de Reporters sans frontières, Olivier Basile, nous avons pu exposer pendant près d’une heure et demi, devant un auditoire attentif, les conditions dans lesquelles s’exerce le journalisme de guerre. Et débattre avec les députés du rôle de l’Union européenne dans la défense de la liberté de la presse.
L’ambiance amicale du Parlement tranche évidemment avec l’hostilité que l’on rencontre le plus souvent lors de missions d’enquête et de plaidoyer dans des pays autoritaires. Ici, à Bruxelles, les députés et les représentants du Service européen pour l’action extérieure ne nous regardaient pas avec des yeux courroucés ou suspicieux. Mieux encore, ils attendaient, à l’exemple de la députée socialiste belge Véronique De Keyzer, que nous présentions nos recommandations et nos critiques afin de guider l’action de l’Union européenne.
Les pays européens se situent dans les premiers rangs des index de la liberté établis par des organisation comme RSF ou Freedom House. Même si certains pays comme l’Italie berlusconisée ou la Hongrie nationale-populiste de Viktor Orban, voire la France sarkozyste avec ses pratiques d’ingérence au sein des médias, ternissent le tableau, l’Europe reste fondamentalement une des régions les plus favorables à la liberté de la presse.
Sa politique extérieure reflète cette situation : dans la plupart des enceintes internationales, l’Union européenne s’oppose aux tentatives de restreindre la liberté d’expression. La Commission appuie concrètement les journalistes en danger, par le biais de l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme. Le Parlement, qui a créé le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, intervient régulièrement pour dénoncer les atteintes aux libertés.
L’action effective de l’Union, toutefois, n’est pas toujours à la hauteur de ses déclarations de principe. Lorsqu’elle est confrontée à des violations de la liberté de la presse dans des pays avec lesquels elle a signé des accords de coopération, l’Union active rarement la « clause démocratie droits de l’homme » qu’ils contiennent.
La cohérence n’est pas non plus toujours au rendez-vous. Les révolutions tunisienne et égyptienne ont montré que certains pays européens avaient tissé des rapports de connivence avec des pouvoirs oppresseurs, au dépens des journalistes et des blogeurs indépendants.
Il reste donc du chemin à parcourir et il dépendra largement de l’audace politique de l’Union européenne, c’est-à-dire de sa volonté de mieux accorder sa « doctrine de valeurs » et sa politique d’intérêts.