« Renforcer le métier d’infirmière en Syrie ». C’était le titre d’un article paru en mars 2009 sur Lasyrie.net, le site créé à l’initiative du Groupe d’Amitié France-Syrie du Sénat. On ne peut qu’espérer que ce projet ait pu se réaliser quand on voit la brutalité de la répression déclenchée par le régime contre ses opposants. Près de 100 personnes ont encore été abattues vendredi par les forces de sécurité. Ce lundi, l’armée a tiré à l’arme lourde contre la foule.
Comment les groupes et associations censés promouvoir l’amitié avec la Syrie se comportent-ils aujourd’hui que le régime Al-Assad est confronté à un mouvement de révolte et s’engage dans une répression brutale ?
La plupart des sites français qui célèbrent l’amitié et les échanges avec la Syrie sont en retard sur l’actualité, voire tout simplement désactivés. Lasyrie.net semble bloqué sur l’année 2010. Il ne reprend pas la nouvelle composition du groupe sénatorial France-Libye, présidé par l’UMP Jean-Pierre Vial et co-présidé, entre autres, par le socialiste Jean-Pierre Michel.
D’autres sites, essentiellement culturels, sont totalement décalés. « Alors, la Syrie ? La vie vaut d’être vécue », proclame sur sa page d’accueil Beit Sourya, l’Association rennaise d’échanges entre la Bretagne et la Syrie.
Un autre groupe, l’Association d’amitié France-Syrie (www.francesyrie.org), est resté jusqu’ici silencieux sur les tragiques événements syriens. Si le site mentionne, en quelques mots, la formation à la mi-avril d’un nouveau gouvernement présidé par M. Adel Safar, il consacre davantage d’espace au « dîner annuel de notre Association qui s’est tenu le 21 mars au Restaurant Al Dar et a rassemblé près de soixante dix personnes dans une atmosphère qui était comme d’habitude conviviale et chaleureuse ». On y apprend également que l’association « prépare un voyage du 16 au 26 avril 2011 ».
L’objet de l’association est “la promotion et le développement de toutes relations, notamment politiques, culturelles et économiques pour consolider les liens historiques existant entre la France et la Syrie” et son Comité d’honneur comprend notamment Claude Cheysson, ancien ministre français des Affaires étrangères (sous François Mitterrand) et ancien commissaire européen, et Dominique Baudis, ancien maire de Toulouse, député européen UMP, membre du Parti populaire européen, et président de l’Institut du Monde arabe.
Si le silence semble de règle au sein des associations officielles franco-syriennes, Dominique Baudis a tenu à se démarquer : le 7 avril, il a relayé sur son blog (www.dominique-baudis.eu) la condamnation par le Parlement européen de la répression en Syrie. « Les dirigeants font tirer sur leur propre peuple qui revendique légitimement liberté politique, dignité humaine et équité sociale », dénonce-t-il.
Que penser de ces associations d’amitiés? Elles ont leur rôle dans les échanges internationaux, certaines sont des lieux d’échanges et d’inter-culturalité, parfois même des canaux de la diplomatie citoyenne ou parallèle.
Toutefois, certaines d’entre elles sont aussi des faire-valoir de régimes peu recommandables. La plupart des Etats autoritaires, du Chili de Pinochet à l’URSS de Brejnev, de l’Afrique du Sud de l’apartheid à la Corée du Nord, du Zaïre de Mobutu à la Tunisie de Ben Ali, ont pu compter sur des « amitiés » au sein de pays démocratiques.
Les arguments les plus courants pour justifier ces alliances impies mentionnent la volonté de favoriser “l’évolution du régime”, d’éviter “la prise de pouvoir par des forces extrémistes” ou encore le souci de “promouvoir des processus de paix”.
La célébration des vertus de ces « régimes incompris » est habituellement récompensée par un traitement VIP, le tapis rouge, quelques cadeaux, voire même, selon certaines accusations par définition non confirmées qui circulent à Paris, le financement occulte de campagnes électorales.
Le monde est ainsi fait que des diplomates, des responsables d’institutions publiques et des hommes d’affaires doivent inévitablement traiter avec des régimes peu recommandables pour défendre des intérêts d’Etat ou assurer des contrats. Mais cette justification, lorsqu’elle émane de représentants de partis politiques ou d’intellectuels, apparaît nettement moins défendable. Au nom, en particulier, des « valeurs » qui demanderaient normalement que les démocraties, comme le dirait Monsieur de La Palice, appuient les démocrates.
Trop souvent, ces échanges qu’aucune mission officielle ne justifie organisent inévitablement la connivence et noient sous les flots mielleux de discours de fin de banquet la dure réalité de la dictature. Le plus souvent aussi, ces relations servent davantage les intérêts des régimes autoritaires que ceux des pays démocratiques.
Quand un papillon sent le goût de voler librement,
La joie de mouvoir ses ailles dans l’espace,
Personne ne peut l’obliger de revenir a son cocon,
Ni de le persuader que la vie d’un ver beaucoup plus digne…