Le procès des militaires voleurs d’enfants qui s’est ouvert lundi à Buenos Aires ne révèle pas seulement la nature criminelle de la dictature militaire qui régna en Argentine entre 1976 et 1983.
Il expose aussi de manière particulièrement crue l’idéologie dont se réclamait la Junte pour commettre ses forfaits. Si les généraux enlevaient les bébés des prisonnières condamnées à disparaître dans les eaux du Rio de la Plata, c’était aussi « pour les sauver de la damnation » en les confiant à des familles « respectables » qui les éduqueraient dans la foi chrétienne et les valeurs de « l’Occident ».
Les auteurs du putsch de 1976 n’étaient pas seulement des soudards à la Pinochet, défenseurs des intérêts sonnants et trébuchants de l’oligarchie menacée par le socialisme et les “partageux”. Non, ils se considéraient d’abord et avant tout comme des croisés, chargés de débarrasser l’Argentine de ses mécréants, de ses déviants et de ses dissidents.
Jorge Videla et nombre de ses comparses adhéraient avec fièvre et ferveur au national-catholicisme, c’est-à-dire à une conception religieuse intégriste et réactionnaire et à un nationalisme racial et violent, inspirés du phalangisme franquiste.
Comme le rappelle Andrew Graham-Yooll, ancien rédacteur en chef du Buenos Aires Herald dans un excellent essai (Who do you think you are? The search for Argentina’s Lost Children, 2011), le rapt d’enfants avait été pratiqué sur une large échelle par la dictature franquiste, qui après avoir assassiné les prisonnières plaçaient les orphelins dans des institutions “honorables” où ils seraient sevrés des “idées diaboliques” (socialistes, communistes, laïco-libérales) de leurs parents.
Proches des intégristes français de La Cité catholique et de membres de l’OAS (Organisation de l’armée secrète, le groupe terroriste des opposants de l’indépendance algérienne), qui avaient trouvé refuge en Amérique latine (Lire à ce propos le livre de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort. L’école française), les membres de la Junte répétaient les discours fascistes des années 1930, avec leurs dénonciations de la « subversion bolchevique » et du « complot judéo-maçonnique ».
Dans leur obsession de restaurer un catholicisme ultraconservateur, ils s’en prirent en particulier aux Juifs. Le témoignage du journaliste Jacobo Timmerman, arrêté en 1976 et soumis à la torture et aux insultes antisémites, reste l’un des plus accablants sur l’idéologie mortifère qui inspirait le régime militaire. Il rappelle que l’Argentine fut aussi, après la seconde guerre mondiale, sous la présidence de Juan Domingo Peron, le lieu de refuge de nombreux criminels nazis (Lire à ce propos l’enquête d’Uki Goñi, The Real Odessa).
Lors de cette période noire, comme l’a révélé le célèbre journaliste Horacio Verbitsky, auteur du livre Le Vol (décrivant le largage des prisonniers dans la mer) et d’une histoire du catholicisme politique en Argentine, la très conservatrice Eglise catholique joua généralement un rôle indigne. Certains hauts dignitaires cautionnèrent le régime militaire, d’autres collaborèrent avec lui, la plupart gardèrent le silence.
Le procès des « voleurs d’enfants » ne devrait dès lors pas se limiter à la demi-douzaine d’anciens militaires inculpés de crimes contre l’humanité. Il devrait également rappeler la responsabilité d’intellectuels et d’institutions qui préparèrent idéologiquement la barbarie qui se déchaîna en 1976 et qui déboucha sur une incroyable inversion de valeurs, où le crime – la torture et l’assassinat de parents ou de mères célibataires- trouvait sa justification dans une foi chrétienne dévoyée.
Des centaines d’enfants furent happés par cette machine infernale. Nombre d’entre eux, éduqués dans des familles de militaires, ignorent encore qu’ils sont les enfants de militants ou d’opposants assassinés par l’armée. Peut-être même trouvent-ils des excuses aux généraux. Ceux qui savent se sont très souvent retrouvés déchirés, écartelés, blessés pour toujours par un régime militaire qui se réclamait de la civilisation chrétienne et occidentale et qui était prêt à torturer, à massacrer, au nom de la Nation argentine et du Christ-Roi.
Une référence supplémentaire a propos de cette terrible période : Luz ou le temps sauvage de Elsa Osorio, livre de fiction très juste à mon sens.
Un film à conseiller pour saisir l’horreur de la torture des femmes sous la dictature militaire en Argentine entre 1976 et 1983: “Garage Olimpo” de Marco Bechis (1999).
le rédacteur de cet article nage en plei délire.
Malheureusement pour lui, après Da Vinci code, je ne pense plus que ce genre d’article fasse encore vendre du papier.
Je n’ai pas l’habitude de répondre à des messages qui choisissent ce ton alors que l’on pourrait avoir un échange courtois de points de vue différents. Mais je vous conseille de lire les rapports qui sont sortis sur cette période -en particulier les livres encyclopédiques de H. Verbitsky – et aucun d’entre eux ne relève du Da Vinci Code.
Je me souviens parfaitement d’avoir entendu Mgr Lefebvre dire du régime argentin qu’il représentait à ses yeux le modèle du régime chrétien. Et on n’a guère entendu (pour ne pas dire pas) le pape Woytila à cette époque.
Absolument.
Très bel article, mais un gros oubli: les soi-disant démocraties européennes et les Etats-Unis ont au minimum fermé les yeux sur les violences de ce régime assassin. Dans le pire des cas, elles y ont participé, dans un but économique qui s’est répété un peu partout en Amérique latine au cours du XXème siècle. Les dictatures sud-américaines ont bénéficié, sans exception, de l’appui logistique des Etats-Unis (armes, “formation” aux techniques de combat, de torture des escadrons de la mort,…), trop heureux d’y installer leurs entreprises et de libérer ces pays du “joug bolchevique et communiste”. Les richesses de ces pays épuisés économiquement aujourd’hui ont été confisquées aux peuples. Les Etats-Unis? Un Etat voyou!
Très bel article, mais un gros oubli: ce sont les soi-disant démocraties européennes et les Etats-Unis qui ont soutenu ce genre de dictatures meurtrières. Elles ont fermé les yeux sur ces crimes contre l’humanité, ont soutenu financièrement (armes, appui logistique pour les techniques de combat et de torture des escadrons de la mort) les juntes d’extrème-droite de l’Amérique Latine tout au long du XXème siècle, au mépris des peuples dont ils ont confisqué les richesses et les libertés de leur propre pays, exsangues financièrement aujourd’hui. Ces pays portent aujourd’hui les stigmates de nombreuses années de dictaure sanguinaire. C’était d’ailleurs Simon Bolivar qui disait en 1823: Les Etats-Unis semblent être destinés à répandre la misère en Amérique au nom de la liberté.” Un visionnaire, El Libertador!
Je vous remercie de votre commentaire. L’espace d’un blog ne me permet guère d’envisager cette question dans toutes ses dimensions. Je me réjouis dès lors que des lecteurs puissent ajouter à l’information par nature limitée que j’ai transmise
Qu’en dit le vatican?
Le Vatican a été très silencieux à propos des exactions commises par la Junte au nom de la civilisation “occidentale et chrétienne”. Comme il l’avait été d’ailleurs après l’assassinat de l’archevêque de San Salvador, Mrg Romero, en 1980. Le dossier argentin reste un dossier noir et largement clos de l’histoire du Vatican.
La dictature militaire Argentine a surtout été mise en place par les USA comme dans tout le continent pour lutter contre le communisme depuis la victoire de Castro à Cuba. Le délire sur la défense de l’occident chrétien n’est qu’un aspect.
Cette politique là des USA n’a pas changé. Je pense au Honduras au Chili au Pérou à la Colombie. En Argentine où je vis les multinationales continuent de ponctionner le pays de ces ressources minières et agricoles avec le consentement du gouvernement de centre gauche. Cette exploitation va de paire avec le payement de commissions aux dirigeants, la contamination de l’environnement et des conditions de travail esclavagistes. Ceci dit, le débat sur la dictature est essentiel pour que la population connaisse ses droits et puisse en faire usage.
Vous avez raison à propos de la complicité des Etats-Unis. Des documents officiels américains pointent du doigt en particulier l’attitude de Henry Kissinger. Mais d’autres Etats, en Europe notamment, ont également cautionné la Junte. L’espace de mon blog est évidemment trop limité pour aborder plus largement ces questions. Je vous remercie dès lors d’avoir apporté votre regard sur ce dossier.
On pourrait comprendre à vous lire que vous souhaitez inclure un procès de l’Eglise catholique comme complice de ces crimes d’enlèvements d’enfants et d’assassinat. L’équité voudrait qu’on rappelle pourtant que deux religieuses catholiques françaises ont été assassinées elles aussi, Léonie Duquet (dont le corps a été retrouvé en 2005) et Alice Domon. Elles étaient, dès les premières heures, au côté des martyrs et le clergé français a tout fait pour les retouver au milieu du déchainement sanguinaire des années 1976 et suivantes en Argentine.
La foi chrétienne dévoyée par la junte militaire était pourtant la même que partageaient ces religieuses de l’Eglise catholique. Et si on faisait le procès des bourreaux et des actes qu’ils ont commis, de leurs complices, tout en décrivant les inspirations qui étaient les leurs, comme celles qui animaient leurs victimes, mais en laissant en définitive à chacun, mort ou vivant, le secret de sa conscience et sa liberté de penser – comme vous le revendiquez?
merci de votre réaction. L’Eglise catholique a compté des personnes qui se sont battues pour les droits humains, comme vous le soulignez, mais la hiérarchie catholique argentine a accompagné largement le “processus de reconstruction nationale” lancé par la Junte militaire. Tout en comprenant votre remarque sur le secret de la conscience, je ne pense pas cependant que la foi des militaires puisse être comparée à celle de ces religieuses et des autres catholiques qui se sont opposés au national-catholicisme.
Bonne journée
“pointent du doigt en particulier l’attitude de Henry Kissinger” — Comble de l’ironie, ce cher docteur, qui a ordonné le lâché de je ne sais plus combien de tonnes de bombes sur le Cambodge durant le Vietnam, a reçu le prix Nobel de la Paix.
Ben voyons, la politique moderne, grâce à nos sauveurs US tourne à la farce sinistre! Hier, de frapper sur l’épaule de “Sadafi” (voir le buzz sur youtube) en tant que bon pote, et aujourd’hui, on est prêt à cracher dessus, ce, en attendant la permission de nos maîtres les US.
Sinistre !