Danger, livres en embuscade…

Attention, si vous vous rendez dans à la Foire du Livre, prenez vos précautions, vous pourriez être victimes d’une agression sournoise. Les livres sont dangereux car ils font réfléchir et rêver. Certains même, plus dangereux encore, brisent des tabous, bousculent des convenances, défient des pouvoirs.

Un peu partout, devant ces risques innommables dont il faut protéger le bon peuple, des ministères de la peur ou des ligues de vertu se mobilisent. A droite, à gauche, des administrations publiques et des associations privées pourchassent inlassablement de leur courroux purificateur des romans et des essais censés diffuser de « mauvaises idées », insulter la nation ou diffamer la religion.

Les censeurs frappent surtout dans les régimes autoritaires qui entachent la mappemonde, du Belarus à l’Iran, de l’Ouzbékistan au Vietnam, de l’Arabie saoudite à la Chine. La liste des écrivains emprisonnés établie par l’association Writers in Prison offre une désolante cartographie de la pensée muselée.

Mais cette manie de la censure sévit aussi au cœur de pays qui proclament leur amour et leur respect de la liberté. L’Amérique, par exemple, a une longue histoire de censure morale. Au pays de l’individu roi et de l’Etat minimum, la censure est souvent privatisée. Elle est prise en main par des congrégations religieuses et des ligues morales et elle est mise en œuvre par des bibliothécaires et des libraires intimidés.

La liste des livres qui ont été contestés voire interdits dans des bibliothèques est édifiante : Des souris et des hommes de John Steinbeck, Beloved du Prix Nobel de littérature Toni Morrison, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Sorcières de Roald Dahl. En 1929 déjà, la ville de Los Angeles avait banni les livres de Tarzan car le héros vivait avec Jane, sans que ces deux êtres légèrement vêtus ne soient unis par les liens du mariage. Aujourd’hui, Harry Potter est mis à l’index dans certaines bibliothèques locales parce qu’ « il ferait l’apologie de la sorcellerie ».

Les tables et les étagères des librairies américaines regorgeraient donc de produits hautement toxiques, plus dangereux que les fusils d’assaut et les bazookas offerts à la vente au public dans les braderies organisées par d’aimables armuriers qui rêvent d’alexandrins finissant par bang bang et tacatacata.

Ces exemples pourraient presque faire sourire car les Etats-Unis disposent de lois libertaires et de puissantes organisations de défense de la liberté d’expression qui combattent la censure. Ils dénotent, toutefois, la constance de l’instinct de censure, même au pays du Free Speech et du Premier amendement, ce célèbre texte de la Constitution américaine qui interdit au Congrès de restreindre la liberté d’expression.

Alors pour participer à leur combat, cherchez dans les rayons tous les livres qui, un jour, furent interdits. Dans ce périple de l’impertinence, prenez pour guide Emmanuel Pierrat, auteur de Cents livres censurés, un bel ouvrage qui rappelle ces géants de la littérature, Hugo, Chateaubriand, Darwin, Erasme, Diderot, vénérés aujourd’hui par les esprits les plus respectables et les plus conformes, qui subirent en leur temps les foudres des épurateurs de librairies et des nettoyeurs de bibliothèques.

Dans un grand nombre de pays, cependant, le risque est beaucoup plus grand que l’exclusion d’une bibliothèque. Etre écrivain signifie courir des risques et prendre des coups, être jeté en prison ou contraint de prendre les routes de l’exil. Comme Taner Akcam, cet historien turc, auteur d’une étude magistrale du génocide arménien (Un Acte Honteux, Denoël, 2008), menacé de mort par les ultranationalistes turcs et condamné à enseigner à l’université du Minnesota. Comme Dejan Anastasijevic, auteur de Out of War, qui a dû fuir la Serbie à la suite des menaces lancées contre lui et sa famille et qui a trouvé à Bruxelles « une ville internationale de refuge ». Comme Liu Xiaobo, ancien président de l’Independent Chinese Pen Center, l’un des auteurs de la Charte 08 et Prix Nobel de la Paix 2010, arrêté et assigné à résidence par le régime de Pékin.

Lorsque vous entrerez dans le hall de la Foire du Livre, souvenez-vous que la littérature est, dans certains pays, un acte de courage. Et signez toutes les pétitions qui, on l’espère, circuleront en faveur des écrivains persécutés.

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6 réponses à Danger, livres en embuscade…

  1. Ola dit :

    Il n’y a plus besoin, en Occident, de censurer la bonne littérature, Chateaubriand, Balzac, Beckett et des milliers d’autres ; la plupart des romanistes sortent des universités en considérant qu’Amélie Nothomb, Machin emmanuel, et autres Levy gnagna sont de grands écrivains. Non, vraiment pas besoin de censure…Proust ? Morand ? Etc etc… Trop complexes pour une époque épuisée qui se mire le nombril dans le festisme d’une Foire du Livre parfaitement conforme au Crédo de notre humanisme rampant : Ô liberté Ô conscience malheureuse que l’oppression révolte et qui installe ses indignations factices dans les Salons bien-pensant de la pensée clé sur porte. La foire du livre mord ? Peut-être mais elle n’a pas la rage.

  2. passifigue dit :

    Un article qui fait du bien au coeur et à l’esprit et qui prouve que la censure des livres est, involontairement, une confession publique.

  3. J.S dit :

    En marge de cet article avec lequel je suis entièrement sur la même longueur d’onde que son auteur, je me permets d’égratigner un tout petit peu, ceux qui au sein du Soir.be, s’arrangent parfois bien pour faire disparaître, sournoisement, et sans avoir l’air d’y toucher des articles qui semblent induire des commentaires probablement trop dérangeants…Ce qui veut dire que dame censure frappe parfois où on ne l’attend pas. Tout étant relatif bien entendu, même en démocratie citoyenne et participative la dictature de l’actionnariat n’est me ,semble-t-il jamais bien loin, et souvent d’ailleurs cachée derrière la première porte venue…

  4. lecomte dit :

    Excellente idée.! Grâce à vous je vais étoffer mon coin lecture..avec curiosité.
    J’aime beaucoup votre comparaison entre les dangers /lecture et.. la loterie/armes .
    Je fais suivre votre article avec enthousiasme. Cordialement . J.Lecomte

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