Les récents événements en Egypte ont montré que les journalistes étaient les cibles prioritaires des régimes autoritaires.
La violence s’est portée notamment contre les femmes journalistes. Mardi, au moment où le Comité de protection des journalistes (CPJ) présentait l’édition 2011 de son rapport Attacks on the Press, on apprenait que Lara Logan, envoyée spéciale de la chaine de télévision CBS et membre du Conseil du CPJ, avait été brutalisée et attaquée sexuellement vendredi dernier au Caire par une foule d’hommes déchaînés. Heureusement secourue par des femmes et une vingtaine de soldats, elle a regagné les Etats-Unis.
Le rapport dresse un bilan préoccupant de l’état du monde. 44 journalistes au moins sont morts l’année dernière dans l’exercice de leurs fonctions. 60% d’entre eux ont été ciblés et assassinés, les autres sont morts alors qu’ils couvraient des événements violents (conflits, manifestations). 90% des crimes restent impunis.
Avec huit journalistes tués, le Pakistan est le pays le plus dangereux du monde, en raison essentiellement des attentats perpétrés par des groupes terroristes. Il est suivi dans ce palmarès de la violence par le Honduras, le Mexique et l’Indonésie, avec trois assassinats chacun.
Au Mexique, les groupes criminels, qui ont largement infiltré les forces de sécurité, imposent une narco-censure brutale sur la presse, particulièrement dans la zone frontalière avec les Etats-Unis.
Internet est devenu l’un des terrains de bataille les plus décisifs entre les partisans et les adversaires de la liberté de la presse. Dans de nombreux pays, les gouvernements bloquent, filtrent, traquent, sabotent, piratent ou, comme en Egypte fin janvier, « débranchent » complètement l’accès à Internet.
Dans les régimes autoritaires, les bloggeurs sont directement visés par la répression. En s’en prenant à des personnes qui agissent de plus en plus souvent comme des journalistes (ce qui explique que des associations comme le CPJ et Reporters sans frontières prennent leur défense), les censeurs du Net tarissent également l’une des sources d’informations non officielles, dont dépend la presse internationale.
Comme nous l’expliquions dans un précédent blog, les organisations internationales, régionales et locales de défense de la presse ont établi un réseau mondial d’alerte et de solidarité, l’International Freedom of Expression Exchange (IFEX), basé à Toronto. D’autres initiatives plus spécifiques ont également vu le jour comme la Global Network Initiative, qui regroupe des entreprises (Google, Microsoft, Yahoo!), des associations (CPJ, Human Rights Watch…) et des centres universitaires (Berkman Center de l’Université de Harvard) engagés dans la défense de la liberté d’expression sur Internet.
L’influence de ces campagnes dépend toutefois de l’appui qu’elles reçoivent des Etats et des organisations internationales. La mobilisation des ambassades en cas d’arrestation ou de violences contre des journalistes est essentielle, comme l’a démontré l’expérience vécue par Serge Dumont, l’envoyé spécial du Soir et du Temps au Caire.
Certains Etats démocratiques ont inclus le respect de la liberté de la presse et la protection des journalistes dans leur politique étrangère. Ainsi, en mai dernier, l’administration Obama a édicté la Daniel Pearl Freedom of the Press Act (du nom du journaliste du Wall Street Journal assassiné par des terroristes islamistes au Pakistan en 2003). Cette loi oblige le Département d’Etat à enquêter spécifiquement sur les attaques contre la liberté de la presse et à présenter chaque année un rapport au Congrès. Mardi, Hillary Clinton a officiellement annoncé un plan visant à aider les journalistes et bloggeurs à contourner la censure d’Internet.
L’appui des organisations internationales est tout aussi essentiel, car elles servent de référence à leurs Etats membres. Or, comme le souligne Joel Simon, directeur exécutif du CPJ, dans son introduction au rapport annuel, la plupart de ces organisations restent extrêmement timides, quand elles n’agissent pas tout simplement comme des relais ou des cautions de régimes répressifs.
Si la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour interaméricaine des droits de l’Homme peuvent se targuer d’un excellent bilan, les Nations Unies et l’ Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, censées défendre la liberté d’expression, n’ont pas été à la hauteur de leur mandat. Le CPJ critique en particulier le silence du secrétaire général Ban Ki Moon à l’occasion de l’octroi du Prix Nobel de la Paix au dissident chinois Liu Xiaobo et la tolérance par les pays membres de l’OSCE de violations de la presse au Kazahkstan alors que ce pays présidait l’organisation en 2010.
Par ailleurs, l’influence des Etats démocratiques serait plus grande si ceux-ci respectaient parfaitement chez eux les principes fondamentaux de la liberté de la presse. Or, ces dernières années, tant les Etats-Unis que des pays européens ont offert des arguments aux dictateurs empressés de justifier leurs atteintes à la liberté de la presse.
Comme l’indique le rapport, les Etats-Unis ont arrêté des journalistes et entravé la couverture des audiences des commissions militaires à Guantanamo. Ils n’ont pas non plus mené d’enquête sérieuse et indépendante sur des « bavures militaires » qui ont entrainé la mort de journalistes, comme celle, révélée par Wikileaks, du mitraillage en 2007 en Irak de journalistes de l’agence Reuters.
En Europe, plusieurs pays se sont distingués par leur volonté de contrôler les médias : la France avec le harcèlement des journalistes d’investigation, l’Italie avec la concentration du pouvoir médiatique autour de Silvio Berlusconi et, dernièrement, la Hongrie qui a adopté une loi qui vise à museler la presse dérangeante.
Ce sujet a été traité mardi soir à Bruxelles, lors d’un débat organisé par le CPJ et l’EPC (European Policy Centre). Il fera l’objet d’un prochain blog sur le rôle de l’Union européenne dans la défense de la liberté de la presse.
(A suivre…)