Journalistes: un réseau mondial de protection

Comme l’a souligné Béatrice Delvaux dans son éditorial de vendredi, l’arrestation de l’envoyé spécial du Soir au Caire, Serge Dumont, a suscité une mobilisation extraordinaire. Celle-ci a particulièrement mis en exergue le développement des réseaux institués ces 30 dernières années pour appuyer et secourir les journalistes en danger.
Jusque dans les années 1970, en effet, le journaliste arrêté ou molesté disposait de beaucoup moins de recours. Lors d’un incident, Amnesty International, créée en 1961, l’Institut international de presse (Londres) et la Fédération internationale des journalistes (Bruxelles) entraient certes en action lorsqu’ils apprenaient l’arrestation d’un reporter. Mais ces organisations n’avaient pas mis en place à cette époque les multiples procédures spécifiques d’alerte et d’appui qui existent aujourd’hui pour localiser et aider des journalistes victimes des forces de répression..

L’attention portée à la sécurité des journalistes résulte d’évolutions liées à la fois au métier et surtout à la nature des conflits armés. A l’époque de la guerre froide, avec ses zones strictement délimitées et ses conflits relativement classiques, les journalistes internationaux étaient moins souvent qu’aujourd’hui la cible directe des forces de sécurité ou des groupes non-étatiques armés (terme pudique désignant les groupes de guérilla, les paramilitaires, les bandes criminelles ou terroristes).

Le basculement a eu lieu en 1979 avec l’assassinat, face aux caméras, de Bill Stewart, reporter d’ABC News, par la garde nationale de la dictature somoziste à Managua et après la mort, dans une embuscade des forces armées, de 4 journalistes hollandais au Salvador en 1982.

Soucieux d’accroître la sécurité des envoyés spéciaux et correspondants de guerre, de ne pas se laisser intimider et de lutter contre l’impunité, des journalistes commencèrent alors à mettre en place des associations dont l’objectif premier était de « protéger les journalistes ». C’est dans ce contexte que fut créé à New York le Comité de protection des journalistes (CPJ, Committee to Protect Journalists).

Lancée en 1985 par Robert Ménard, l’association Reporters sans frontières se développa surtout dans le contexte meurtrier des conflits en ex-Yougoslavie et en Afrique centrale, pour devenir l’une des organisations les plus actives dans la défense des journalistes, notamment en cas de prise d’otages, comme elle le démontra par exemple lors de l’enlèvement de Florence Aubenas en Irak.

Aujourd’hui, les associations internationales de défense de la liberté de la presse se sont organisées en réseau, au sein de l’IFEX (International Freedom of Expression Exchange, basé à Toronto), où elles côtoient de nombreuses associations régionales ou locales qui jouent souvent un rôle de première ligne lorsque des journalistes sont victimes de la répression.

Leurs capacités se sont fortement accrues : elles disposent de chercheurs spécialisés et de correspondants dans de nombreux pays autoritaires ou frappés par la guerre. Elles peuvent s’appuyer sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour s’informer sur le sort des journalistes et communiquer largement leurs alertes et dénonciations.

Elles ont également étendu leur mandat : elles développent des formations à la sécurité pour les journalistes qui partent en missions dangereuses et les aident à crypter leurs communications. Elles poursuivent en justice des responsables d’attaques contres les journalistes. Elles travaillent sur le PTSD (stress post-traumatique). Elles gèrent, grâce à des accords passés avec certains chancelleries européennes, la délivrance de visas d’urgence et accueillent dans des « maisons des journalistes » les confrères et consoeurs menacés.

Evidemment, leurs actions ne débouchent pas toujours sur des succès. En dépit de tous leurs efforts, des journalistes sont enlevés, retenus en otages, emprisonnés, assassinés. L’impunité des tueurs est la règle. Mais sans ces organisations, les journalistes seraient encore plus vulnérables face aux forces d’insécurité, aux groupes terroristes, aux voyous et aux criminels qui veulent éviter que le monde sache ce qui se passe sur leur “terrain de chasse”.

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