Egypte : le dilemme américain

La contagion de l’effet Tunisie dans un certain nombre de pays arabes, en premier lieu en Egypte, place les Etats-Unis devant un dilemme qu’ils ont du affronter à intervalles réguliers au cours de l’histoire : comment réagir face à une demande de démocratie alors que la cible des mouvements protestataires est un allié stratégique ?
La semaine dernière, Washington a d’abord cherché à rassurer le président Moubarak de son soutien, mais hier, à la suite de la répression des manifestations, il a demandé à son protégé de garantir le droit des manifestants.

« Le fait est, écrit Leslie Gelb, président honoraire du prestigieux Council on Foreign Relations, qu’aucun diplomate, quelles que soient ses connaissances, aucun agent secret et aucun professeur de Harvard ne sait où ces troubles peuvent mener. La Maison blanche peut être excusée de ne pas savoir si elle doit « chevaucher le tigre » ou aider le gouvernement égyptien à le ramener dans sa cage, ne serait-ce que pour quelque temps ». L’histoire n’offre pas de leçons évidentes. Parfois, les Etats-Unis ont été à même d’accompagner et de domestiquer des changements potentiellement dangereux pour leurs intérêts. Dans les années 70, après la chute des généraux grecs, ils favorisèrent l’arrivée au pouvoir du politicien modéré Caramanlis. De même, au Portugal et en Espagne, ils réussirent à neutraliser les partis communistes et à promouvoir l’émergence de formations politiques pro-occidentales.

Parfois aussi, la situation leur a totalement échappé, comme au Nicaragua en 1979 lorsque leur option – la constitution d’un gouvernement centriste- fut balayée par la victoire militaire sandiniste sur la satrapie des Somoza ou encore en Iran, où les islamistes éliminèrent très rapidement tout alternative modérée après le départ abrupt du Chah.
De surcroît, dans le monde en recomposition qui est le nôtre, la marge de manœuvre de toute puissance, fut-elle la superpuissance américaine, est plus limitée qu’auparavant. De plus en plus conscients de la difficulté de forger le monde à leur image et au gré de leurs intérêts, les Etats-Unis savent qu’ils doivent agir avec beaucoup plus de subtilité qu’au temps de la politique de la canonnière ou des barbouzeries de la CIA en Amérique latine.
Ce qui devrait renforcer une approche plus prudente et plus multilatérale de leur diplomatie, loin des illusions unilatéralistes qui régnèrent au sein de l’administration Bush.

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5 réponses à Egypte : le dilemme américain

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  2. yanar dit :

    Opportunisme américain habituel, ils se rangeront du côté des vainqueurs de toutes façons…

  3. E.W. dit :

    Le problème, avec ce genre de billets, n’est pas tant qu’il ne dévoilerait aucune vérité mais qu’en évacuant tout jugement de valeur, il suggère, par défaut, que l’impérialisme serait un “fait neutre”.

  4. Patrick Italiano dit :

    Il me semble que vous inversez complaisamment la perspective. Les USA ne se privent jamais de soutenir, de promouvoir ou d’installer des régimes dictatoriaux qui servent leurs intérêts, ni de torpiller de n’importe quelle manière des pays démocratiques qui ne leur obéissent pas. Je vous fais grâce des listes interminables, dans lesquelles on pourrait ergoter sur un exemple ou l’autre mais pas sur la majorité.
    La conception américaine de la démocratie est, pour l’exprimer poliment, restrictive: comme en 1990 au Nicaragua, que vous citez, ils ne reconnaissent que les processus électoraux qui donnent des résultats qui leur conviennent, refusent de voir, quand ça les arrange, que derrière une élection (“libre” dans le meilleur des cas), les droits des citoyens ne sont pas garantis, voire s’opposent à la démocratisation de pays corrompus, imprésentables, mais alliés. C’est le cas de l’Egypte qui nous occupe.
    Le dilemme n’a rien à voir avec quelque principe démocratique que ce soit, c’est un calcul cynique. La préférence des USA, c’est une dictature qui leur obéit, plutôt qu’une démocratie qui présente toujours un risque, et en cela Moubarak est parfait. Le vrai risque, c’est que si les démocrates égyptiens l’emportent, ils pourraient être moins dociles, notamment dans leur complicité avec Israël dans le siège de la Bande de Gaza. En cela, votre utilisation de l’expression “politiques pro-occidentales” est aussi une complaisance supplémentaire (dangereuse, car interprétable aujourd’hui dans l’optique anti-musulmane, ou du “choc des civilisations”, profétie auto-réalisatrice) pour ce qui devrait être appelé un impérialisme souvent sous-tendu par une idéologie arrogante quant à la “vocation” des USA à dominer le monde et lui imposer n’importe quel diktat. Au final, il me semble que vous endossez implicitement la définition d'”ennemis” des USA dans votre vision du monde, hier les affreux communistes, aujourd’hui les dangereux islamistes, ennemis qui justifieront toujours toutes les exceptions aux principes démocratiques et aux droits de l’Homme, dont on se remplit la bouche hypocritement. Valeurs au nom desquelles on combat les ennemis, qui justifient de s’affranchir du respect de ces valeurs. Bref de se mettre exactement au niveau de ceux que l’on prétend combattre. La “bottom line”, c’est de perpétuer la domination, n’importe comment.

  5. L.GILLAIN dit :

    L’expression d’un soutien affiché à l’initiative de disponibilité de EL BARADEIN comme possibilité d’aider et crédibiliser une nécessaire transition (précisément parce que ce dernier avait été ostracisé par les USA,le geste porterait!) serait du meilleur effet sur une importante partie de la frileuse société politique égyptienne, à la fois pour calmer le jeu de la rue et laisser entendre la possibilité de réorientation concertée de l’aide américaine; en outre cela ne “mangerait pas de pain”tout en prémunissant le pays d’un retour des Frères Musulmans !

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